Quand le thuya s’en va au bois

Thuya dans le bois, qui l’eut cru il y a quelques années à peine ?

Vous pensez ne pas le connaître ? Mais bien sûr que si, ce bon vieux Thuja plicata a été massivement planté dans les jardins et l’est d’ailleurs encore, même si son monopole semble doucement s’effriter.

Et bien figurez-vous que ce bel arbre originaire d’Amérique du Nord a reçu chez nous le doux surnom de « béton vert » en référence à son utilisation la plus fréquente pour créer des bordures opaques tellement denses et … dépourvues de vie. Ces dernières années, ce cher béton vert un peu en disgrâce dans les jardins, a connu une reconversion pour le moins surprenante. Disposait-on de stock de plants dont on ne savait que faire, qui sait ? Toujours est-il que des plantations monospécifiques sur des parcelles forestières complètes ont été initiées. Incertitudes liées aux changements climatiques et crises sanitaires en voie de multiplication parmi les essences forestières sont les principaux moteurs de ces nouveaux choix forestiers qui posent question.

Après une dizaine d’années, le peuplement de thuyas est largement refermé.

Un exemple concret ? Je vous emmène dans le bois communal de Lustin. Le « Bois de Nismes », environ 150 hectares de forêt publique (et une cinquantaine d’hectares de forêt privée) dont un vaste plateau central d’une trentaine d’hectares enrésiné de longue date et qui est cours de régénération depuis un peu plus de 10 ans. A chaque fois, c’est le schéma classique : mise à blanc suivie d’une plantation plus ou moins vaste d’une seule espèce à qui on souhaite bonne chance dans les années futures… Jusque là, rien qui sorte du lot par rapport à la gestion sylvicole conventionnelle.

Des pins sylvestres en rang d’oignons eux aussi.

Là où ça devient plus surprenant, c’est quand on jette un œil aux arbres choisis pour remplir ce vaste paysage qui, pour le moment et à la faveur des peuplements encore très jeunes, laisse vagabonder le regard. Le thuya occupe deux parcelles dont la plus ancienne approche les dix ans et laisse présager d’un avenir assez sombre pour la biodiversité : peuplement très dense avec une lumière au sol très faible, absence de végétation d’accompagnement, structure monotone, etc. Les parcelles des alentours sont un florilège des essais sylvicoles du moment : mélèze, pin sylvestre, sapin de Nordmann, sapin de Douglas, tsuga et même, on ne semble ici avoir peur de rien, quelques épicéas… Pas question de mélanger tout ça, chaque essence est bien rangée dans sa petite case, les alignements sont parfaits, pour peu on se croirait à la pépinière. Je me sens bien seul sur ce plateau battu par l’hiver et je me demande où se trouve l’intérêt public de ce type de gestion forestière. Sur 30 hectares, les arbres indigènes sont cantonnés à une étroite bande plantée en hêtre (quelques ares tout au plus), là également bien rangée dans sa case avec des arbres qui semblent participer à un concours de docilité. Même âge, même développement, halte à la spontanéité, même au bois.

La commune de Profondeville, propriétaire de ce bois, a-t-elle réellement pesé les conséquences de ces choix de régénération ? Se dirige-t-on réellement sur ce plateau vers la forêt multifonctionnelle qui réjouit les promeneurs, permet à la nature forestière de se développer, accueille la faune sans la concentrer dans des repères inextricables générateurs de surdensités néfastes pour la forêt, produit un bois de qualité sans compromettre sa capacité pour l’avenir de la forêt, etc. La crise climatique apporte ici sa petite loterie : personne ne peut prétendre que les essences choisies résisteront aux épisodes de sécheresse ou de pluies intenses ou encore aux aléas des températures aussi bien hivernales qu’estivales.

Mais d’autres choix sont-ils possibles et quels sont-ils ? Oui et ils sont nombreux. Des choix possibles et même indispensables pour une forêt publique. Tous les forestiers sont aux abois et nul doute que les régénérations en cours dans les forêts privées font déjà la part belle aux essences exotiques sur lesquelles certains parient désormais. Un pari sans recul et avec des risques comparables aux précédentes monocultures exotiques, des risques simplement démultipliés par les bouleversements climatiques. C’est donc le rôle de la forêt publique de garder la tête froide et de faire confiance à la résilience de nos forêts indigènes pour assurer l’avenir de la forêt wallonne. L’autre option est donc d’opter pour la régénération naturelle, à enrichir le cas échéant par quelques cellules de régénération de feuillus indigènes précieux que l’on souhaiterait voir s’y développer. Une autre forêt est donc possible sur ce plateau lustinois garantissant à la fois son avenir grâce à un mélange d’espèces et une diversité génétique nettement supérieure, une viabilité économique non plombée par des efforts de régénération artificielle, l’accueil de la biodiversité et des citoyens attachés à la forêt naturelle de leur village, etc. Rien à voir avec la culture d’arbres telle qu’on peut la voir aujourd’hui.

La présence de particularités topographiques comme ici une zone humide sur le plateau aurait davantage pu guider les choix de plantation.

Pour en revenir au thuya et si des plantations massives font leur apparition, on peut s’attendre à des soucis… Car là aussi, certains scolytes spécialisés sur le thuya (Phloeosinus spp) causent déjà des dépérissements dans les jardins et seraient ravis de découvrir les allées verdoyantes de nos forêts uniformément plantées.

Ils restent encore quelques pinèdes à régénérer dans les prochaines années à Lustin, la commune sera-t-elle capable d’opter pour d’autres choix ? D’ailleurs où se situe le débat impliquant les citoyens dans ces décisions qui engagent sur plusieurs générations ? Le patrimoine public mérite notre attention, espérons que d’autres horizons plus naturels pourront émerger.

J’ajoute encore que la forêt communale de Lustin comprend aussi de la forêt feuillue en partie indigène, notamment des chênaies présentes sur les versants et que ces parcelles sont gérées avec une belle attention au bois mort notamment. Il reste donc des zones d’intérêt biologique dans le Bois de Nismes mais il reste aussi particulièrement dommageable d’exclure quasi toutes les fonctions mis à part une hypothétique vocation économique, sur la grande zone du plateau. Une forêt résiliente et multifonctionnelle dans tous ses recoins, c’est possible et largement désirable.

Quand la chênaie lustinoise se camoufle sous la neige.

2 Comments on “Quand le thuya s’en va au bois

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